Le projet BRuMM
Les musiques venues d’ailleurs sont désormais d’ici. Elles se sont perpétuées et réinventées dans un contexte socioculturel bien différent des sociétés qui les ont vues naitre. Elles font partie du patrimoine musical bruxellois. Avec le festival BRuMM (Bruxelles Musiques Migrantes), nous souhaitons participer au décloisonnement de ces pratiques musicales en créant des espaces de rencontres, de connaissances et d’expériences partagées. Les musicien·nes sont associé·es le plus possible à l’élaboration de la programmation et à la réflexion sur les actions à mener. Leur implication va bien au-delà d’un simple rapport de prestation artistique.
On se promène un matin à Jette et soudain on est saisi par le son de clarinettes turques. Ce sont des musiciens venus chercher une mariée à son domicile. D’autres jours, c’est le chœur d’une église évangélique qui répète dans une arrière maison, des musiciens brésiliens dans un café gare du Midi, une fête équatorienne dans un centre culturel grec, la rencontre entre des musiciens belges et afghans dans un bistrot, un mariage marocain dans une salle des fêtes, des chants albanais durant un repas entre amis… Bruxelles est immensément riche de toutes ces pratiques musicales. Pour autant, elles restent méconnues. Il y a celles que l’on a la chance de connaître, celles que l’on perçoit, et puis toutes celles qui restent à découvrir et à partager.
Les musiques migrantes à Bruxelles
Avec ses 183 nationalités, Bruxelles est la deuxième ville la plus cosmopolite au monde et la première en Europe. C’est la capitale d’un pays aux identités multiples, « zinneke » dans l’âme, impossible à cataloguer, et où bat chaque jour le cœur de l’Europe. Par son histoire et sa position géographique, Bruxelles est devenue un carrefour du monde qui fait d’elle un point de rencontre où se concentre un échantillon de toute l’humanité.
Ville-Monde par excellence, Bruxelles est le lieu d’existence de répertoires musicaux d’une grande diversité. Au cœur de notre démarche se trouve la valorisation des expressions musicales des nombreuses communautés vivant sur notre sol. Le sort réservé à ces musiques que nous qualifierons de « migrantes » (pour reprendre le concept de l’ethnomusicologue suisse Laurent Aubert) est semblable à celui des immigrés eux-mêmes et de leurs descendants. Guère visibles dans l’espace public et médiatique, elles sont le plus souvent ignorées, minorées voire méprisées, considérées à tort ou à raison comme peu innovantes ou renouvelantes sur le plan esthétique.
L’expérience sensible des musiques migrantes contribue à tisser les liens avec le territoire perdu tant par leurs dimensions affectives et symboliques que par leurs fonctions sociales. Mais ces musiques sont aussi le terreau indispensable au dialogue des cultures et des individus qui les vivent. Les promoteurs du projet BRuMM font le pari qu’une meilleure accessibilité du public à ces musiques permettra de créer les conditions d’un rapprochement interculturel significatif et constructif, en permettant à la fois de visualiser la qualité et la quantité des apports culturels de générations d’hommes et de femmes venus d’ailleurs et de mettre à jour les processus de création, de recréation, de fusion et les syncrétismes à l’œuvre.
Porteuses et productrices de lien social, les musiques rassemblent les individus et valorisent les praticien·nes en tant que détenteur·rices d’une expertise et leur permettent d’exprimer leurs identités multiples, héritées et construites.
Le festival a été créé en 2018 à l’initiative de Stéphanie Weisser, ethnomusicologue, alors directrice du centre culturel La Villa à Ganshoren. Dès le début, elle a souhaité s’associer à d’autres acteurs du monde culturel et académique. Au fil des éditions, les partenariats se sont consolidés et étoffés. A la suite de La Concertation asbl, le Centre Bruxellois d’Action Interculturelle a repris la coordination du festival en 2020 avec la volonté de poursuivre les intentions premières et de développer les actions interculturelles. Pour atteindre ses objectifs, le festival allie différentes actions complémentaires : journée d’étude et d’échanges (Les Rencontres de BruMM), concerts, résidences de création, activités de médiation et constitution d’un fond de ressources documentaires.
Résidences d’artistes et création
Le projet BRuMM entend non seulement contribuer à la reconnaissance des musiques migrantes mais aussi par effet de contagion engendrer des rencontres artistiques nouvelles. Nous pensons que la valorisation de ces pratiques musicales passe aussi par une connaissance réciproque des artistes du monde, par la curiosité de pratiquer ensemble leur art, comme antichambre du vivre ensemble.
Les centres culturels partenaires sont les lieux d’ancrage pour des expérimentations aussi fécondes qu’imprévisibles. En fonction des spécificités de chaque opérateur et de la disponibilité des musicien·nes, les résidences se font sur une à deux semaines ou lors de séances hebdomadaires sur plusieurs semaines. Nous souhaitons qu’un temps suffisamment long soit accordé pour offrir un cadre propice à la richesse des échanges.
Thématiques annuelles
Outre ces résidences, le festival donne lieu à une série d’événements et d’activités publiques, sur la thématique annuelle de BRuMM. En effet, chaque année depuis 2018, les partenaires du projet définissent un thème et mettent en place des dynamiques de médiation culturelle et d’éducation permanente : les pratiques musicales féminines en 2018, les instruments à cordes en 2019, les rituels de printemps en 2020 (reporté en 2021), les multiples formes d’engagement dans les expressions musicales migrantes en 2022, les liens féconds entre musiques, spiritualité et création artistique en 2023.
Médiation culturelle
Les musicien·nes sont détenteur·rices d’un savoir spécifique et il est important d’en donner des « clés d’écoute », des notions pertinentes qui permettent d’accéder à une esthétique musicale. Si les partenaires ont leur spécificités propres, ils portent en commun une attention particulière à la médiation culturelle : voir, entendre et comprendre les musiques migrantes dans leurs richesses, leurs dynamiques. Chaque année, une journée d’étude annuelle est organisée dans un lieu accessible à tous et un format convivial propice aux échanges et à la transmission des savoirs. La journée est organisée autour de tables rondes thématiques durant lesquelles entrent en dialogue à la fois des chercheurs (ethnomusicologues, sociologues, anthropologues…) et des artistes. La journée est aussi rythmée par des interludes musicaux qui permettent de voir les musicien·nes dans leurs pratiques. Il ne s’agit pas simplement de pauses musicales : avoir fait connaissance avec eux prépare l’écoute. La musique entre en résonance avec les propos tenus pendant les tables rondes.
En marge des concerts, des ateliers d’initiation et des rencontres à destination des publics scolaires et associatifs sont proposés en partenariat avec les opérateurs culturels. La médiation peut aussi s’adresser au grand public.
Cartographie sonore et visuelle
Enfin, au fil des éditions, le projet BRuMM constitue, avec l’équipe de Digital Transmédia, un fonds de ressources documentaires audiovisuelles accessibles sur les plateformes de partage vidéo et le site internet du festival : captations intégrales des concerts, retransmissions des journées d’études, portraits et interviews des artistes, chercheur·euses, acteurs associatifs participant au projet…
Premiers jalons d’une future cartographie sonore et visuelle des musiques migrantes à Bruxelles, ces vidéos témoignent de la diversité des parcours et des formes d’expression musicales, elles parlent de musique qui circulent et connectent les hommes et les femmes, les univers, les histoires, disent les différentes formes de métissages qui sont autant de chemins vers l’Autre. Elles permettent de rendre compte de l’évolution des pratiques musicales et du degré de connaissance à leur égard, mais également des processus de rencontre et de dialogue interculturels lors des résidences ou des activités de médiation en milieu scolaire ou associatif
BRuMM – Bruxelles Musiques Migrantes est un projet à l’initiative des centres culturels La Villa (Ganshoren), la Maison de la Création (Bruxelles-Nord), Le Senghor (Etterbeek), La Maison des Cultures et de la Cohésion sociale (Molenbeek), coordonné par le Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI), en partenariat avec le Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations (CEDEM-ULg), Les Jeunesses musicales de Bruxelles et Digital TransMédia.
Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Commission Communautaire Française (Cocof).
Coordination générale
Hélène Delaporte | Centre Bruxellois d’action interculturelle (CBAI) | helene.delaporte@cbai.be
Tanju Goban | Centre Bruxellois d’action interculturelle (CBAI) | tanju.goban@cbai.be
Programmation
Thomas Steygers – Maison de la Création MC NOH (Neder-Over-Heembeek)
Sarah Gravier – Le Senghor (Etterbeek)
Roch Van Coppenolle – La Villa (Ganshoren)
Loubna Gaïch – Maison des Cultures et de la Cohésion sociale (Molenbeek)
Collaboration scientifique
Hélène Sechehaye | Conservatoire de Bruxelles, Laboratoire de Musicologie (ULB)
Marco Martiniello | Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations (CEDEM-ULg)
Production audiovisuelle
Nicolas Billen | Digital TransMedia